|

Qu’est-ce que la recherche-action ?

La réponse à cette question n’est pas simple dans le sens où d’autres termes viennent s’immiscer dans la définition. Assez rapidement, sortant de la recherche académique, on peut parler de recherche participative1, de recherche citoyenne, de recherche collaborative12, de recherche en habitant3. Mais alors parle-t-on des mêmes processus, des mêmes démarches ? Toutes ces appellations ne font pas l’unanimité et introduisent des distinctions subtiles dans le rapport au savoir et à la production de connaissance4. Nous nous concentrerons ici sur le point commun de toutes ces façons de « faire recherche »5 dans le sens de Pascal Nicolas-Le Strat, qui est bien dans le « faire », dans « l’action » et dans la création polymorphe d’un collectif de recherche entremêlant des personnes plus ou moins éloignées de la recherche, maniant les notions scientifiques avec plus ou moins (voire pas d’) aisance.

C’est dans cette articulation entre « ceux qui pensent » et « ceux qui font »6 que réside la dimension fondamentale de la recherche-action, il ne s’agit plus de les opposer mais de faire ensemble.
Pratiquement, les outils de la recherche sont utilisés pour s’emparer en collectif de recherche de questions émanant des terrains. Dans cette dynamique, le terrain n’est plus un espace d’observation pour un chercheur qui en serait déconnecté mais il est surtout un lieu d’expérimentation où les acteurs transforment leurs questionnements en objets sociologiques et trouvent un espace de structuration et d’élaboration de réponses.

S’engager dans une recherche-action, pour un chercheur, ne peut se faire qu’en considérant comme abolie la frontière entre savant et profane. Il s’agit de co-construire des processus (dans le sens d’étapes de travail mais aussi d’espaces-temps) dans lesquelles tous les participants se retrouvent, peuvent apporter leurs connaissances, leurs regards, leurs questions, leurs étonnements.

Pour les différents acteurs, s’engager dans ce type de démarche nécessite la capacité à s’étonner, se perdre, à suivre différents fils pour en trouver un qui fasse sens, la capacité, éventuellement, à se remettre en question et à modifier son regard sur des sujets dont on pensait avoir une opinion bien faite.

S’engager dans une recherche-action, c’est, enfin, l’opportunité de prendre de la hauteur, d’acquérir des mécanismes de réflexion et de s’en saisir collectivement. Dans ce sens, la recherche comme processus est un outil démocratique de développement du pouvoir d’agir comme le soutiennent par exemple Sciences Citoyennes7 ou l’École du terrain, en soutenant l’émergence et/ou l’enrichissement de débats localement et en participant à des processus de transformation sociale.

Dans notre démarche Super Rural, le projet associe dès sa genèse animation du territoire et démarche d’enquête. Le collectif de recherche-action, par sa constitution pluridisciplinaire est déjà un gage de regards multiples et dès les premiers échanges sur cette notion d’habitabilité, chacun.e a pu évoluer dans ses positionnements intellectuels et s’enrichir des débats internes.

Ces enjeux renvoient alors autant à la recherche-action, comme un processus de transformation par la démarche elle-même, qu’à la recherche participative dans le sens de la création d’un collectif de non spécialiste des sciences humaines qui va mener l’enquête.

Mais ce collectif pluriel ne serait rien sans les acteurs qui participent aux résidences (habitant.e.s à titre individuel, avec des mandants électifs ou via des associations), à vous lecteur.ices de cet article, qui (s’)engagent (dans) une réflexion commune.

Lors des premières résidences, l’on voit par exemple se constituer un groupe de « fidèles », d’après les termes mêmes des agents des Parcs, qui reviennent pour différentes activités et enclenchent donc une dynamique collective de réflexion sur des sujets divers. À Sauxillanges, l’agente du Parc identifie la qualité et la diversité des animations comme la garantie pour « faire ressortir un récit habitant plus proche de la réalité », aborder des sujets épineux, tels les aménagements de bourgs « sans polémique » et même entrevoir des perspectives de réponse dans l’action collective (telle que la mise en place d’un réseau d’échanges de savoir). À Saint-Martin-Labouval, l’agent du Parc souligne que la temporalité du week-end a permis de « commencer à faire bouger les lignes au sein de la population », a fait « naître des envies de réfléchir et de se saisir des enjeux qui, aujourd’hui ou demain touchent ou toucheront le monde rural. »

Extrait du site Internet « L’école du terrain » :

Faire recherche en habitant…

Habiter est indissociable d’une façon de « faire lieu », un lieu stable ou transitoire, voire précaire, en les tenant tous en égale considération, même les plus vulnérables, et en prenant en compte les injustices et inégalités qui les affectent, parfois violemment. Habiter relève nécessairement d’une expérience partagée, qui implique des socialités de proximité et des voisinages, et qui peut, possiblement, constituer un authentique « milieu de vie ». Comment soutenir et valoriser ce pouvoir exercé au quotidien pour tisser des lieux ? Comment enrichir cette capacité à cultiver des milieux (de vie), à les tramer grâce aux milles gestes de la vie ordinaire (bavarder, s’entraider, se saluer). La recherche-action peut représenter un équipement démocratique utile à des habitant·es pour porter attention aux riches dimensions qui construisent un « habiter », pour leur accorder une considération nouvelle en les observant dans une perspective différente, en enquêtant à leur propos avec l’espoir d’y découvrir de nouveaux possibles et, peut-être, en renouant avec le désir de les faire authentiquement siennes et, tout aussi, puissamment nôtres, dans une visée d’autonomie.

Pour aller plus loin :

L’École du terrain

• Laboratoire d’Innovation Sociale par la recherche-Action : Espaces d’émancipation collective et de transformation sociale

Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action : Expérimentations sociales

La Boutique des sciences de l’Université de Lyon : Une recherche avec les citoyens
pour inventer demain

Sources :

  1. Recherche participative Par Sciences Citoyennes – Action collective • jeudi 11 juin 2020 ↩︎
  2. la Recherche-Action par Laboratoire d’Innovation Sociale ↩︎
  3. Louis Staritzky et Pascal Nicolas-Le Strat, « Une histoire populaire de la recherche-action », en ligne sur le site de L’école du terrain, 2019
    Louis Staritzky, « Pour une sociologie des tentatives », Éditions du Commun, 2024 ↩︎
  4. Bernard Hubert, Catherine Aubertin, Jean-Paul Billaud, « Recherches participatives, recherches citoyennes… une clarification nécessaire », Natures Sciences Sociétés, 21, 1-2 (2013), DOI : 10.1051/nss/2013078 ↩︎
  5. Pascal Nicolas-Le Strat, Faire recherche en commun », Éditions du Commun, 2024 ↩︎
  6. Réseau des Crefad ↩︎
  7. Webinaire « Outiller la démocratie par la recherche participative » Par Sciences Citoyennes – Action collective ↩︎

Publications similaires