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Définition de l’habitabilité, par Mariam Qaffou

QU’EST-CE QUE L’HABITABILITE ?
Au-delà du simple fait d’habiter…

L’habitabilité est aujourd’hui un sujet au cœur des débats en architecture, en urbanisme en
sciences sociales et dans bien d’autres disciplines. Face aux mutations de nos modes de vie et aux crises écologiques, la nécessité de questionner ce qui rend un lieu véritablement habitable devient un enjeu fondamental dans notre rapport au monde et notre manière d’habiter. Pourtant, si la question de l’habitabilité semble omniprésente dans les discours, ses critères et ses aspects demeurent souvent insaisissables. Comme le souligne Mathias ROLLOT dans son ouvrage Critique de l’habitabilité ; « parler des modes d’habiter et de luttes contre « les territoires inhabitables » devient incontournable alors même que les critères de ce jugement d’inhabitabilité ne sont que très rarement explicités »1. Ce constat rejoint celui de Benoit GOETZ affirmant que si l’on veut espérer savoir construire, il faut se mettre en quête de ce que signifie « habiter »2.

Le terme « habitabilité » est, tout d’abord, un terme issu du verbe « habiter » qui renvoie, dans son
acception première, à la capacité d’un espace à être occupé. Selon le dictionnaire de la langue française, ce terme est défini comme la « qualité de ce qui offre plus ou moins de place à occuper »3. Une telle définition semble, de prime abord, réduire l’habitabilité à une simple question de disponibilité spatiale, laissant entendre qu’un lieu devient « habitable » dès lors qu’il permet l’occupation physique par un corps. Cette approche pourrait être jugée simpliste et réductrice, car elle omet de considérer les multiples dimensions (psychologiques, sociales ou environnementales), qui conditionnent réellement la capacité d’un espace à être vécu et investi pleinement par ses occupants. Comme le définit Marc BREVIGLIERI, « l’homme, en habitant, ne se donne pas simplement un refuge ou un abri, mais aussi un temps serein où peut se déployer un « foisonnement » d’usages variés »4. Ainsi, l’habitabilité ne se réduit plus à la simple fourniture d’un abri ou d’un refuge pour l’homme. Elle incarne des dimensions plus profondes touchant la qualité de vie et l’accomplissement personnel dans un espace-temps donné. De manière générale en anthropologie ou en sociologie, ce concept est associé aux conditions de décence englobant des exigences minimales d’hygiène indispensables pour qu’un individu puisse vivre « dignement ».

L’habitabilité devient alors une notion complexe, qui dépasse la simple fonctionnalité matérielle
pour englober les conditions de l’habiter d’un espace aussi bien matériel qu’idéelles5. Elle intègre des éléments tels que l’accessibilité, la convivialité, et la citoyenneté, tout en étant intimement liée à la capacité de l’individu à créer, adapter et s’approprier l’espace qu’il occupe. Le « bien habiter » et le « bien consommer » sont tout autant des conditions subjectives de l’habiter, où le confort est perçu à travers l’adéquation entre ses pratiques domestiques et les ressources qui les alimentent. L’habitabilité est donc un concept non mesurable et fluctuant, dont son appréhension dépend de l’individu ou le groupement d’individus concernés. Comme le précise Eleonora CANEPARI, « un même espace, peut-être habitable pour certains et inhabitable pour d’autres. Il peut également être habité et défini comme inhabitable »6.
Elle va aussi au-delà de la simple occupation d’un espace pour intégrer une dimension collective et visionnaire, celle de « habiter demain, habiter le futur, habitons ensemble, habitez écologique »7. Aussi, elle ne se limite pas à un lieu physique tangible, mais s’inscrit dans des échelles interconnectées. Thierry PAQUOT souligne que « les rares architectes qui évoquent l’habiter […] pensent que l’architecture contribue à l’habitabilité du monde »8. Cette réflexion s’inscrit dans une approche phénoménologique de l’habiter développée par Martin HEIDEGGER, avec sa notion d’ »être-dans-le-monde ». Il exprime cet acte fondamental d’habiter, où l’existence même est un acte d’habitation accompli9. Ainsi, cette notion se fonde sur une symbiose entre l’être-humain, son environnement, et une architecture durable visant à maintenir cette harmonie.

Cependant, si l’habitat reste un point d’ancrage essentiel, Jean-Marc BRESSE différencie « la
maison » comme étant une base à partir de laquelle il devient possible d’exister, mais que l’acte d’habiter s’intègre dans les rues, les villes et les paysages10. Cette définition inclut la notion de l’habitabilité dans une perspective de proximité, d’enracinement, de mobilité et du quotidien d’un territoire. Dans les territoires ruraux, cette approche se confronte à des défis spécifiques marqués par une tension entre des modes de vie historiquement enracinés et des transformations profondes induites par les mutations économiques, démographiques et écologiques. La question de l’habitabilité y prend une dimension critique, car elle ne se limite pas à l’offre de logement, mais touche à la capacité d’un territoire à permettre un « bien habiter » dans toutes ses dimensions. Si la qualité du cadre de vie est souvent mise en avant dans les représentations de la ruralité, elle ne garantit pas à elle seule l’habitabilité d’un territoire. L’isolement, la raréfaction des services publics, la fragilisation des liens sociaux ou encore
l’inadaptation du bâti aux évolutions des modes de vie sont autant de facteurs qui peuvent remettre en cause la possibilité d’un ancrage durable et résilient. Les dynamiques rurales de nos jours traduisent la nécessité de repenser l’habitabilité en intégrant des éléments qui ne relèvent pas uniquement du bâti ou de l’aménagement, mais aussi des structures sociales et économiques qui rendent possible la vie quotidienne. Comme le souligne Mathias ROLLOT, « il faudra inventer une science d’habitabilité qui sache travailler avec le subjectif, l’irrationnel, l’invisible, le symbolique, l’émotionnel, le rêve, le désir…Bref, l’habitation de la Terre sous toutes ses formes. »11

  1. ROLLOT, Mathias, Critique de l’habitabilité, Paris : Libre et Solidaire, 2017, p.13 ↩︎
  2. GOETZ, Benoît, Théorie des maisons, l’habitation, la surprise, Paris : Verdier, 2011, p.13 ↩︎
  3. REY, Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 2010, p.1672 ↩︎
  4. BREVIGLIERI, Marc, Penser l’habiter, estimer l’habitabilité, Tracés. Bulletin Technique de la Suisse Romande, 2006, n°23, pp. 9-14 ↩︎
  5. Habitabilité | Géoconfluences, 2 juillet 2024 ↩︎
  6. CANEPARI, Eleonora, L’(in)habitable, Marseille: Éditions Imbernon, 2020 ↩︎
  7. ROLLOT, Mathias, Critique de l’habitabilité, Paris : Libre et Solidaire, 2017, p.11 ↩︎
  8. PAQUOT, Thierry, Demeure terrestre, enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon : Éditions de L’Imprimeur, 2005, p.154 ↩︎
  9. SLOTERDIJK, Peter. Bulles, Sphères 1, Paris : Fayard, 2002 ↩︎
  10. CANEPARI, Eleonora, L’(in)habitable, Marseille : Éditions Imbernon, 2020 ↩︎
  11. ROLLOT, Mathias, Critique de l’habitabilité, Paris : Libre et Solidaire, 2017, p.18 ↩︎

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